Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/174

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— Oui, il y a quelques jours. Et son notaire vient de m’annoncer qu’il t’a laissé 100.000 francs. Tu comprends bien qu’au fond, ces 100.000 francs, c’est à moi que tu les dois. Si je n’avais pas été là, pour te rappeler sans cesse à la mémoire du vieux bonhomme, tu aurais pu te fouiller. Donc, mon garçon, c’est 100.000 francs que je compte à mon actif et que je déduis de ce que je te dois. Par conséquent, je me reconnais ton débiteur pour 300.000 francs, plus quelque petite chose que je viens de t’emprunter.

Je ne réponds pas. Ce que j’ai vu, ce que j’entends depuis ce matin, me bouleverse, me stupéfie. Je ne puis revenir de mon étonnement, étonnement mélangé de répulsion. Tout cet argent gaspillé, empoigné, happé, perdu ; cette façon de disposer de choses qui ne vous appartiennent pas ; l’usure, l’inconscience, la cupidité, le cynisme ; l’ignominie de tous ces dessous de l’existence qui m’apparaissent tout à coup dans leur nudité… Et le mensonge peut-être. Car est-il vrai que mon père ait engagé le pauvre vieux Freeman à me laisser une part de sa fortune ? Est-il vrai, même, qu’il lui ait rendu visite une seule fois ?…

Mon père me frappe sur l’épaule.

— Eh ! bien, à quoi penses-tu ? Tu n’as guère une mine d’héritier. À ton âge, si l’on m’avait apporté une nouvelle comme celle que je viens de t’annoncer, j’aurais fait une autre figure. À propos, tu ne m’as pas dit ce que tu as fait avec les quinze cents francs du Lévy. Des femmes ? Maintenant que tu as l’épaulette, j’espère bien… En tous cas, tu sais, pas de collage. À ton deuxième galon, il te faut un mariage, et un fameux. J’en ai fait deux bons ; par conséquent…

— Père, dis-je rapidement, afin de placer la conversation sur un autre terrain, comment t’es-tu laissé entraîner à menacer cet homme d’une pareille façon, tout à l’heure ? S’il avait refusé, pourtant ? Il y a tant de gens