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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/177

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n’étais pas officier, que pourrais-je faire dans l’existence ? Pas grand’chose, probablement ; peut-être rien. Et si la classe des officiers français n’était point la seule expression régulière, sociale, des forces viriles du pays — si l’officier français n’était point le représentant exclusif de la France armée — quel droit aurais-je, plus qu’un autre, à une autorité quelconque sur mes concitoyens ? Mes titres à l’épaulette : quelques années passées au collège et quelques mois dans une école spéciale. Et encore, moi, je suis fils de soldat ; je sais, au sujet des affaires militaires, un peu plus qu’un grand nombre de mes camarades, fils de bourgeois, dont toutes les connaissances pratiques se bornent à la distinction des uniformes. Si je n’avais pas été destiné à devenir un officier, j’aurais pu être soldat depuis trois ans ; j’aurais pu acquérir, par mon intelligence générale ou mes qualités spéciales, le droit rationnel de commander à mes compatriotes. Officier sorti de l’école, je vais être leur chef en vertu d’un monopole de caste. C’est en vertu de ce monopole que je vais servir mon pays comme fonctionnaire privilégié ; comme fonctionnaire supérieur qui ne peut être cassé aux gages, car il y a une loi de 1831 qui nous confère, à nous officiers, la propriété de nos grades. C’est en vertu de ce monopole que je vais commander aux Baïonnettes Intelligentes. Ça ne me rend pas fier ; non.

Mais voici des gens qui sont fiers pour moi : d’abord, Lycopode, cette excellente Lycopode, qui s’est constituée l’ombre discrète de mon père, qui le suit partout comme un chien fidèle, faisant pour ainsi dire partie du mobilier et sans autre profit, je le crains, que l’honneur de servir un tel maître ; elle gratte doucement à la porte de ma chambre, l’entre-bâille ; et, comme j’ai justement achevé ma toilette, elle se répand en exclamations. Ah ! que je suis beau, que je suis beau, que je suis beau !… Je me sens flatté, malgré tout, de l’admiration naïve, et verbeuse