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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/200

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pour ma profession, quant à l’enthousiasme, au feu sacré, au culte des traditions et autres breloques morales, tout cela n’existait en moi que pour mémoire. Il est excessivement rare qu’il en soit autrement. Se couvrir de gloire, accomplir des actions d’éclat, gagner la réputation d’un grand stratège ou d’un Poliorcète, ce sont des rêves qu’on fait quelquefois ; mais de moins en moins ; et ça passe vite. Généralement, après quelque temps, on en vient à se considérer comme fonctionnaire. Fonctionnaire inamovible, privilégié ; et d’essence supérieure. Cette supériorité dont on se flatte n’est pas tout illusoire : la fonction militaire est sans doute la seule que l’homme ne puisse pas déshonorer tout à fait ; il n’est pas toujours possible de fuir ou de capituler.

Comme le rôle de fonctionnaire ne me plaît que modérément, je me reproche parfois d’avoir fait fausse route. Je crois que beaucoup de mes collègues, au début, pensent de la même façon, s’il leur arrive de penser. Mais on s’habitue ; le métier conquiert l’être. On reste dans l’armée comme les nations modernes restent aux pieds de leurs armées ; par une résignation un peu ahurie, assez couarde, mal déguisée en volonté.

Je cherche à me rappeler à peu près mes débuts dans l’armée. Toutes sortes de tableaux défilent devant mes yeux ; des sensations revivent, atténuées, aiguës, rapides ; des souvenirs voltigent, passent, s’affirment, s’écroulent. Je saisis des bouts d’images ; il y a des lueurs, des échos ; des odeurs se précisent, se transforment, s’unifient — relent d’un passé qui n’a point cessé d’être le présent. — Des souvenirs, donc…

Ce que je voudrais surtout retracer ici, c’est la vie de l’officier, non pas au quartier, mais en dehors du quartier ; c’est-à-dire, si vous voulez, dans ses rapports avec cette partie de la population qui n’est pas strictement militaire.