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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/215

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de patience bête, de soumission animale. Je voudrais, par mes outrages, communiquer ma haine et ma colère à ces momies, comme on souffle la vie avec l’haleine dans la gorge des asphyxiés !…

Saisi d’un grand étonnement, je me suis tourné vers mon camarade ; sa figure, qui ne traduit d’ordinaire que la lassitude et l’ennui, semblait être éclairée d’un feu intense, d’une expression de fureur hautaine. Sans prendre garde à la surprise que me causaient ses paroles, d’une voix tranchante où des enthousiasmes grondaient, il continua :

— Oui, on fait tout — oh ! par sottise et sans le vouloir — pour les jeter à la révolte, ces soldats-citoyens qui ne sont ni des citoyens ni des soldats, mais des automates. Ah ! s’ils voulaient se donner la peine de réfléchir ! Le code qu’on leur lit tous les samedis… Vous connaissez le hideux refrain. Mort ! Mort ! Et mort, pourquoi ? Qu’est-ce qui entraîne la peine de mort ? Tous les actes qui pourraient donner au soldat la valeur morale, la force individuelle, qui le constitueraient en fait ; tous les actes qui pourraient contribuer à faire de la France autre chose que la malheureuse nation qu’elle est. On punit de mort les hommes qui refusent l’obéissance à un supérieur, qui insultent un supérieur ! Même si le supérieur est un imbécile avéré, même si c’est un traître indiscutable. Est-ce que les soldats, s’ils avaient deux sous d’intelligence, ne demanderaient pas à les choisir, leurs chefs ? On choisit son cordonnier, son tripier, son marchand de vins, et l’on n’a pas le droit de choisir son officier ; on vote pour l’homme qui vous représente au Parlement, et l’on ne peut pas élire l’homme qui doit vous conduire au feu. Ah ! misère !… Dites-moi donc un peu, s’il vous plaît, si ce n’est pas parce qu’on a continué, par exemple, à obéir à Mac-Mahon, le dégoûtant vaincu, et parce qu’on n’a pas insulté Galliffet, le hideux assassin,