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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/26

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bart à attenter à ses jours. Il faut, pour bien juger les faits, se rendre un compte exact de la situation domestique de cette dame.

« Mme Maubart avait, en fait, toujours vécu isolée, complètement à part soit dans sa famille soit dans la société qu’elle fréquentait ; son existence était admise, tolérée plutôt, mais à condition qu’elle ne s’affirmât point. Elle se trouvait dans la situation d’une esclave dont on n’exige rien, qu’on laisse libre, mais qui ne cesse de se sentir esclave ; dont les chaînes sont remplacées par d’énormes étendues d’égoïsme, par d’immenses solitudes d’âmes où ne jaillit la source d’aucune affection, où ses cris d’angoisse vont se perdre sans trouver d’écho. Mme Maubart était une nature sentimentale et tendre ; s’il en eût été autrement, elle n’aurait pas eu la force d’endurer ce qu’elle eut à souffrir. Elle désirait être aimée, certes ; mais ce qu’elle aurait voulu surtout, ce qu’elle souhaitait ardemment, c’était de faire accepter entièrement son amour à elle, l’affection sans bornes qu’elle avait vouée à l’homme qu’elle avait choisi. Et elle sentait que cet homme n’acceptait pas son amour, n’en agréait que des bribes, par-ci par-là ; ne le considérait point comme une chose précieuse entre toutes, bien au-dessus de tous les sentiments et de toutes leurs expressions. Plus encore ; elle sentait que, l’amour complet dont elle lui faisait offrande, l’homme qu’elle avait choisi ne pouvait point l’accepter. Elle le sentait, lui, blasé, fatigué et comme soûlé d’hommages de toutes sortes, d’admirations innombrables qui semblaient naturelles à son inconsciente vanité. Tel un dieu, dans l’or et le chatoiement de son uniforme, il attirait à soi tous les enthousiasmes et toutes les déférences ; il les acceptait en bloc, comme son dû, sans faire la moindre attention à la qualité de l’encens qu’on lui brûlait sous le nez, et s’inquiétant peu du zèle ou de la foi des thuriféraires, pourvu qu’il fussent en nombre.