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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/28

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particulières de ménager le général de Rahoul, soit pour toute autre cause, ne jugea pas à propos de s’émouvoir. Mis par sa femme en demeure d’agir, il refusa net. C’est alors que Mme Maubart, placée brutalement en présence de la réalité, voyant s’évanouir les dernières illusions qui masquaient l’inutilité de son existence, prit le parti d’en finir avec la vie… On peut croire que la mort de Mme Maubart fut fâcheuse pour son mari… »



Elle le fut surtout pour moi. Je suis certain que ma mère, si elle avait vécu, aurait fait tous ses efforts pour m’empêcher d’entrer dans l’armée, et sans doute aurait-elle réussi. Le souvenir qui m’est resté d’elle n’est qu’un souvenir de réverbération, pour ainsi dire ; mais je comprends, même en laissant à part les témoignages de personnes qui l’ont bien connue et qui confirment mes suppositions, combien il lui aurait été douloureux de voir son fils choisir un genre d’existence qu’elle avait appris à haïr et auquel elle imputait tous les déboires, toutes les humiliations et toutes les souffrances qui rendirent sa vie misérable. Elle fût peut-être parvenue, aussi, à m’inculquer quelques-uns de ces sentiments humains dont l’or d’une paire d’épaulettes compense mal la privation ; et dont l’absence fit de ma vie, en dépit des apparences, quelque chose d’aussi discordant, instable et tourmenté que les éléments peu cohérents qui constituent mon caractère. Ces sentiments, il me fut impossible, à moi comme à beaucoup d’autres, de les acquérir plus tard.

Bien des gens ont passé dans mon existence, et j’ai traversé l’existence de bien des gens. Ils entrèrent dans ma vie comme on pénètre dans un monument dont la structure ou la réputation vous intéresse, et où l’on n’ose point rester parce que la température n’y est pas normale,