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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/333

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— Où est-il ?

— À la Trappe. Il est trappiste. Il édifie le couvent par sa dévotion. (Adèle éclate de rire). Ah ! non ! Quand je pense qu’il a fait enterrer maman civilement !… Quelle farce !…

J’ai un frisson. Je ne puis m’empêcher d’admirer et d’envier, presque, la force de volonté de cette femme ; et cette énergie féroce m’épouvante. Adèle m’attire et m’effraye. Je sens qu’elle serait à moi, tout à moi, si je voulais, en dépit d’elle-même ; n’est-ce pas parce qu’elle a été à moi qu’elle est ce qu’elle est, qu’elle a fait ce qu’elle a fait, que toutes ces choses sont arrivées ? N’est-ce pas à moi, de moi peut-être, sa cruauté et sa volonté ? De moi ?… Je suis fouetté de cette vérité, que je n’osais m’avouer : que je suis un être veule ; et de cette autre vérité, que je pressentais : qu’Adèle est très dangereuse. Du reste, si je l’ignorais, je l’apprendrais maintenant.

— Écoute, dit-elle, je suis méchante, et je n’oublie rien. De toi aussi j’ai voulu me venger.

Je ne la laisse pas achever. Je lui répète ce que m’a dit le général de Porchemart à ses derniers moments. Elle reste impassible.

— Je ne regrette rien, dit-elle quand j’ai fini. Mais Porchemart a bien fait. C’est-à-dire que je suis heureuse qu’il ait agi ainsi. Autant que tu sois indemne, après tout ; je crois que j’aurais eu un remord. Quant à Porchemart, il a fait ce qu’il a pu, ce qu’il a osé ! Rien. Pas de nerf, pas de moelle. Même lui. Pas un seul homme, pas un seul. Tiens…

Rapidement, d’une voix où vibre le mépris et parfois la colère, elle énumère en les qualifiant les nombreuses personnalités du monde politique, militaire et financier qu’elle a connues, qu’elle a pu voir et juger comme peut juger une aventurière intelligente. Quelle galerie ! Des types défilent, défilent, hideux d’infamies et lamentables