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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/351

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donne, de ne rien faire en hâte, et vous m’en remercierez.

Je ne réponds pas. Je ne sais, ni que croire, ni que penser. Il me semble bien qu’Issacar ne parle ni à la légère ni pour son propre compte. Mais alors, quelle est la signification, la portée du rôle que j’ai commencé à jouer sans m’en douter ? J’ai été, je le vois, l’agent inconscient de tripoteurs haut placés probablement, qui maintenant réclament de moi un faux témoignage ; et si je ne donne pas ce témoignage, je sens que je serai à leur merci et qu’ils me briseront comme verre. L’indescriptible horreur de la servitude militaire m’apparaît tout d’un coup. Et beaucoup de choses que je sais, que j’ai vues, qu’on m’a racontées, me reviennent soudain à l’esprit ; je me rappelle aussi ces fameux rapports que mon père expédiait par kilos, et le cœur léger, lorsqu’il était attaché à l’ambassade de Berlin. Est-ce que tout, absolument tout, alors, serait fraude, rapine et imposture ?

— En vérité, dis-je tout bas, ce ministère de la guerre est comme une caverne ; on dirait qu’il n’y grouille que des coquins…

— Il y a quelques honnêtes gens aussi, ricane Issacar ; il s’en fourre partout. Mais au fond, c’est un peu comme vous dites. Que voulez-vous ? L’homme est très corruptible. Il ne peut se guérir d’un mal qu’en employant des remèdes qui lui donnent une nouvelle infirmité ; la guerre produit la férocité ; et la paix, la dépravation. Il faut ajouter que le pouvoir provoque souvent un scepticisme énervé chez l’homme qui l’exerce, et excite ses appétits.

— Cela n’excuse rien. On ne devrait pas oublier l’existence de la Patrie.

— Voilà le point, reprend Issacar. On ne devrait pas oublier l’existence de la Patrie, et on l’oublie. Et savez-vous pourquoi les gouvernants l’oublient ? Parce que les gouvernés n’y pensent point. Qu’est-ce que c’est que la