Aller au contenu

Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/394

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’être qui accepte la laideur de la vie actuelle, qui en jouit, qui ne sent pas pour elle haine et dégoût, cet être-là cesse d’être un homme.

Les idées que j’exprime intéressent aussi le capitaine de Bellevigne. Il admet l’essence, mais rejette le mode. Moi, j’admets le mode, et de plus en plus.

J’ai vu. J’ai lu. J’ai trouvé, formulées, beaucoup de pensées qui ne s’étaient présentées à mon esprit que tronçonnées ou en désordre. J’ai compris la Comédie Inhumaine jouée sur notre Terre par ces deux monstres, l’Église et l’État, par tous ceux qui en vivent et par tous ceux qui en meurent.

Comédie inhumaine — infâme, imbécile, indigne d’hommes. Comédie Inhumaine partout. Et quelle comédie plus grotesque et plus sinistre en même temps que cette comédie de la Revanche qui se joue en France, sans interruption, depuis 1870 ? Le Pouvoir Civil agite aux yeux d’une tourbe abrutie le bulletin de vote, qui représente la volonté civique ; le Pouvoir Militaire brandit le drapeau, qui représente la Patrie. La tourbe applaudit, admire, bâille, bave, crache au bassinet parlementaire, casque militairement. Et l’homme au bulletin de vote et l’homme au drapeau se partagent les écus, se les partagent en frères (de la côte). Les liens les plus étroits les attachent l’un à l’autre. Les filous des assemblées parlantes ne peuvent continuer leurs trafics que grâce à l’existence perpétuée de l’armée prétorienne ; et l’armée prétorienne ne peut continuer à exister au bénéfice de l’aristocratie à galons, que grâce à la complicité des vomissures de l’urne. Si le Pouvoir Civil a réussi à conserver l’armée telle qu’elle est, quelles transformations n’aurait-il pu facilement lui faire subir, s’il l’avait voulu ? Mais il sait qu’il a tout à perdre, et son existence même, à la constitution d’une armée vraiment nationale ; et il tient à vivre, au milieu de toutes les ordures et de toutes