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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/402

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L’officier, qui se fait payer pour entrer en campagne, se fait aussi payer pour entrer en ménage ; toujours relativement à son grade et à ses risques ; la nation crache, et la femme casque. Quoi de plus normal ? Et peut-être que nous nous aimerions, tout de même…

Tout de même… Peut-être… Eh ! bien, non, je ne ligoterai pas ma vie à ce Tout de même ! Je ne clouerai pas à ce Peut-être l’existence d’une femme — surtout de cette femme-là ! — Puisqu’il faut vivre au milieu de choses et d’êtres qui nous emplissent l’âme de répugnance et d’aversion, en face de la répulsion sans cesse grandissante qu’on s’inspire à soi-même, je vivrai seul. Je n’ose pas le dire — je ne sais pas pourquoi je n’ose pas le dire — mais je me jure de vivre seul. Les liens qui m’attachent à cette Société que je méprise sont déjà trop nombreux ; je n’ai pas le courage de les briser, mais je ne les augmenterai pas. Le sabre que je traîne inutilement depuis tant d’années déjà, je ne le mettrai pas dans la balance à peser les dots ; j’aurais sans doute mieux fait de m’en débarrasser ; mais qui sait s’il ne me servira pas un de ces jours — l’un de ces jours où l’on se réjouit d’être resté libre ? — Quelque chose me dit que de grandes convulsions sont proches, et qu’avant longtemps, au-delà et en-deçà des frontières — on entendra pas mal — résonner le Brutal.

On peut s’amuser tout de même, en attendant ; et la bénédiction nuptiale n’est pas indispensable à l’existence. (Je pense à Mme Raubvogel, en écrivant ça). J’en pince pour Estelle. Autant l’avouer ; vous le devineriez tout de suite. Ça été long à venir, mais c’est venu. Estelle a quarante-deux ans sonnés, si je sais compter ; mais elle est plus belle que jamais ; d’une beauté plantureuse, montante, qui vous attire et vous retient. Ah ! qu’il y a de belles femmes dans ma famille ! C’est peut-être ma qualité de parent qui empêchait Estelle, au début, d’at-