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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/410

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cialement ; mais qu’elles fussent destinées à couvrir une trahison systématique… Quelle chose stupéfiante !… Et cette chose stupéfiante, tout d’un coup, m’apparaît comme la plus simple du monde. Raubvogel, espion ? Naturellement ; il n’a jamais cessé d’être au service de l’Allemagne ; c’est un espion-né, c’est l’espion… Et je me souviens des informations sur le voyage de de Rouy que j’ai moi-même données à Estelle. Et je m’avoue que je suis la cause inconsciente, mais pas innocente, de la mésaventure dont mes camarades ont été victimes. J’ai été joué par une femme. Et dire que je n’ai jamais pu jouer avec cette femme-là ! Schurke aurait bien pu attendre jusqu’à demain…

Des cris, des pleurs, des lamentations, des objurgations, des supplications ; et tout ça en pure perte. C’est M. Delanoix qui accourt, effaré, atterré, affolé, qui crie, qui gémit, qui se multiplie, qui cherche à étouffer la terrible affaire. Étouffer l’affaire, le gouvernement ne demanderait pas mieux ; malheureusement, il ne peut pas. Le capitaine de Rouy a un frère que Schurke a mis aussi au courant des choses ; ce frère est journaliste, et menace de commencer une violente campagne contre le gouvernement, s’il fait preuve de clémence envers les Raubvogel. Le silence est donc impossible. La presse s’empare des faits, hurle au scandale, clabaude, grince. Mon père, de Nortes, m’écrit : « Ces Raubvogel sont d’horribles crapules ; je l’avais toujours pensé. Désavoue-les, comme je le fais moi-même. Ils ne sont pas nos parents. Combien je regrette d’avoir été assez faible pour le laisser croire ! Voilà ce que c’est que la bonté… » M. Delanoix quitte Paris, désespéré ; je le conduis à la gare du Nord. Le pauvre homme fait pitié ; il est plus mort que vif.

Plus mort que vif ? Je te crois ! Le télégraphe, ce soir, nous apporte la nouvelle de son décès ; il est mort ce matin, subitement. On parle d’un suicide… Des blagues !