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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/439

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Je dois aller immédiatement occuper mon poste. Je quitte donc Paris sans tarder. Isabelle viendra me rejoindre dès que j’aurai préparé son installation. Sandkerque, le vieux port sur la mer du Nord ; ville très propre ; assez gaie ; assez triste. Municipalité réactionnaire ; donc, casernes vieilles et en mauvais état, maigres subventions au Cercle d’officiers, etc. ; si la municipalité était socialiste, il n’en serait pas de même, chacun le sait. Personne comme les socialistes pour soigner l’armée. Stratégiquement, on aurait dû placer de la cavalerie à Sandkerque ; mais l’eau y est très mauvaise, et ferait crever les chevaux ; on n’y a donc mis que des fantassins. Je ne m’amuse pas énormément à Sandkerque ; mes camarades qui sont mariés — mon Dieu ! c’est toujours la même chose : monotonie des papotages, détresse plus ou moins dorée ; ceux qui sont restés garçons — de vieux étudiants, qui n’étudient pas. Ils font leur devoir, tellement quellement ; des parties de manille ; leurs pâques.

D’ailleurs, peu de temps pour s’amuser. Les conscrits sont arrivés récemment, et font leurs classes ; un certain nombre de Parisiens parmi eux. (À propos, Paris a présenté au dernier tirage au sort 18.000 jeunes gens, sur lesquels 11.000 seulement ont été reconnus propres au service militaire. Si la population décroît en quantité, on peut dire qu’elle ne laisse pas de décroître en qualité.) De plus, un certain nombre de réservistes ajournés, dont plusieurs Parisiens aussi, ont été versés dans ma compagnie ; bruyants, fanfarons, sans morale et sans façons. L’un d’eux, un ouvrier d’art, un ciseleur je crois, nommé Fermaille, m’amuse pas mal ; je ne le lui laisse pas voir, naturellement. Mon lieutenant, l’autre jour, m’a dit que ce Fermaille a amené avec lui une petite femme rigolote, connue à Montmartre sous le nom de la Môme-Chichi, et qui danse au Moulin-Rouge. Une de ces professions équivoques qui sont l’indispensable corollaire des profes-