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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/44

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emprunter de l’argent, et qui, ne pouvant avoir cet argent, se vengeait par des grossièretés.

M. Curmont dit que ces grossièretés sont des vérités absolues. Mais mon père assure que ce sont d’odieuses calomnies. Il me défend, d’ailleurs, de répéter à qui que ce soit ce que j’ai vu et entendu. Mon père vient très souvent à Versailles, à présent. Fréquemment des officiers de ses amis l’accompagnent. Mes grands-parents tiennent, pour ainsi dire, table ouverte. Mon grand-père est présenté à ces messieurs comme un Vieux de la Vieille, ce qui lui attire tous les respects.

— Voilà un homme, messieurs, dit mon père, qui fut l’un des compagnons du Grand Empereur. Il était à la Bérésina, messieurs !

— La Bérésina ! disent en chœur les officiers. Terrible affaire ! Le froid ! La glace ! Effroyable désastre ! Le plus épouvantable épisode de la grande retraite…

Mon grand-père, chaque fois, ébauche un geste de contradiction et essaye de dire quelque chose. Mais, comme il parle très lentement, on lui coupe toujours la parole aux premiers mots ; et il n’insiste pas. Du reste, il paraît s’affaiblir depuis quelque temps ; il se casse, ses mains tremblent beaucoup, et il semble prendre pour toutes choses une indifférence de plus en plus grande.

Je soupçonne mon père d’avoir profité de cet état pour engager le vieux, comme il l’appelle, à louer, pour un prix très bas, sa maison de la rue de Clagny au général de Rahoul. Ma grand’mère a paru très peu satisfaite de la transaction ; mais mon père compte beaucoup sur le général de Rahoul, qui est devenu son ami intime et son commensal ordinaire. Je n’aime pas le général de Rahoul, et ma grand’mère le hait.

— Vous voudrez bien m’excuser, a-t-elle dit à mon père qui s’est mis à sourire d’un sourire forcé, lorsque vous jugerez à propos d’inviter ce monsieur.