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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/446

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Pourtant, je ne peux pas laisser Isabelle seule, dans la nuit noire ; elle ne connaît pas les chemins, et l’état de surexcitation dans lequel elle se trouve… Je sors en toute hâte. Dans la rue, personne. Je cours jusqu’à la place du Kursaal. Personne encore. Je m’informe auprès de l’homme de l’octroi, à l’entrée de l’avenue qui mène à Sandkerque ; depuis une bonne demi-heure, il n’a vu passer âme qui vive ; il a vu seulement, il y a quelques minutes, une dame traverser la place dans la direction de la digue. Je me précipite de ce côté ; la digue, balayée par des rafales, me semble déserte ; cependant, l’obscurité est tellement grande !… Je remonte la digue en courant, jusqu’au glacis ; je descends sur le chemin militaire qui borde, extérieurement, les larges fossés des fortifications ; je le suis jusqu’au pont-levis, appelant d’instant en instant. Tout est désert et silencieux. Que faire. Si je savais au moins à quel hôtel Isabelle est descendue… Je reviens à Nalo et je demande à l’homme de l’octroi s’il ne s’est pas trompé, tout à l’heure, en me donnant un renseignement. Si, il s’est trompé ; il se souvient maintenant que, deux minutes avant d’avoir répondu à ma question, il avait vu passer une dame qui marchait très rapidement, se dirigeant vers la ville. Une dame enveloppée d’un grand manteau ? Oui, précisément. Quel imbécile !….. Je rentre chez moi.

Le lendemain matin, vers dix heures, comme je reviens de l’exercice, je trouve le commissaire de police qui m’attend. Il m’apprend que ce matin on a retiré du fossé-canal, au bout de la digue, le cadavre d’une femme…

Je vivrais cent ans que je n’oublierais pas l’émotion qu’ont produite en moi les paroles de cet homme ; émotion tellement poignante, tellement vraie, que je ne veux même pas essayer de la faire revivre, ici, avec des mots. J’avais senti hier, pendant qu’Isabelle me parlait, j’avais senti qu’elle allait mourir. J’ai senti que cette femme, qui m’in-