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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/487

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mon oncle, l’année dernière, m’a donné la description. Voici la plaine, le bois dont il m’a parlé ; je m’avance le long de la route par où sont arrivés les Allemands. Ah ! je voudrais pouvoir douter du récit qui m’a été fait. Je cherche à interroger les lieux, à leur arracher la vérité. Ils sont muets. Ils ont oublié. — Non ; ils n’ont jamais su. — Dans sa hautaine indifférence, la terre est prête encore pour de nouvelles tueries, si la sottise humaine le veut — si l’intelligence humaine l’exige. — Je marche vers une colline, là-bas ; un océan de feuillage se brise, à sa base, en une odorante écume. Ça sent le bonheur, on dirait. Doux, aussi, et chargé de mémoires anciennes, de passer le petit ruisseau qui chantonne sur les cailloux blancs. Et les sentiers pleins d’une buée transparente, qu’on devine montant comme une marée d’air, lavée par la rosée…

Je reviens sur mes pas. Un beau pays, la France ; mais… Un bâtiment blanc sur une éminence, tout au bout de la grande plaine qui précède le village ; la ferme de la Chevrette, sûrement ; si j’allais là ?

Je suis bien reçu à la ferme. Elle est habitée par la même famille qui l’occupait en 1870. Trois générations, à présent. Un vieux et une vieille, de soixante-dix ans environ ; leurs enfants, deux garçons et une fille, de trente à quarante ans ; les petits-enfants, de cinq à dix-huit. Est-ce que ces braves gens ont quelque souvenir du glorieux fait d’armes dont leur ferme fut le théâtre ? Pour sûr ! Ils en sont pleins, de souvenirs ; l’enfant de cinq ans, lui-même, en a. Et c’était un colonel qui commandait les Français ? Oui, un colonel ; un colonel avec cinq galons sur ses manches.

— Un colonel ; oui, Monsieur, affirme l’homme de quarante ans ; le colonel Maubart. Je n’avais guère que douze ans, alors, mais je m’en souviens comme si c’était hier. Le colonel Maubart a dit comme ça, en entrant :