Aller au contenu

Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vident ici des bouteilles à l’ombre, tandis que les bouches des canons, là-bas, vomissent du feu sous le soleil ?…



M. Curmont m’aperçoit, vient à moi, et s’enquiert du motif de ma visite. Mais la colère refoule les paroles dans ma gorge, et je puis à peine prononcer quelques mots sans suite.

— Tu viens voir Adèle ? Elle est dans la maison, avec sa mère. Tu peux aller jouer avec elle.

— Pourvu qu’elle ait fini ses exercices ! s’écrie Albert.

Mais je préfère ne pas voir Adèle aujourd’hui ; je préfère ne voir personne, et je rentre à la maison. Bien m’en prend ! Une lettre de mon père, qui est restée plusieurs jours en route, est arrivée pendant mon absence. Le Corps d’armée du maréchal Canrobert n’a pu parvenir entièrement à Metz ; la brigade des gardes-dragons allemands, avec une compagnie d’infanterie qui avait été envoyée dans des voitures, a coupé la ligne du chemin de fer à Dieulouard ; et quatre trains, pleins de troupes du sixième Corps, parmi lesquelles se trouvait mon père, ont été obligés de retourner à Châlons. Ces troupes doivent faire partie du nouveau douzième Corps, qu’on se hâte de former.

— Dieu soit loué ! s’écrie ma grand’mère. Nous sommes enfin fixés sur le sort de ton père. Nous savons au moins qu’il n’a pas été l’une des victimes de ces affreux carnages autour de Metz. C’est tellement horrible, ces boucheries ! Si les lettres pouvaient arriver plus rapidement !… Enfin, je suis bien contente…

Moi aussi, je suis bien content. Pourtant je dois avouer que j’ai éprouvé comme une déception en apprenant que mon père n’a point assisté aux grandes batailles de ces jours derniers. Il aurait eu tant de choses à me raconter,