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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/119

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LES ROIS EN EXIL

Mais il le disait moins vulgairement, grâce à son accent étranger qui relevait l’argot, lui donnait une pointe bohémienne. Il y avait un mot qu’il affectionnait : « rigolo ». Il s’en servait à propos de tout, pour apprécier toute chose. Pièces de théâtre, romans, événements publics ou particuliers, c’était ou ce n’était pas rigolo. Cela dispensait Monseigneur de tout raisonnement. À la fin d’un souper, Amy Férat ivre et que ce mot agaçait, lui cria une nuit :

« Hé ! dis donc, Rigolo ! »

Cette familiarité lui plut. Au moins celle-là ne le traitait pas en roi. Il en fit sa maîtresse, et bien après que sa liaison avec l’actrice en vogue eut fini, le surnom lui resta comme celui de « Queue-de-Poule » donné au prince d’Axel sans qu’on ait jamais su pourquoi.

Rigolo et Queue-de-Poule faisaient une paire d’amis, ne se quittaient pas, chassaient tous les gibiers ensemble, unissaient jusque dans les boudoirs leurs destinées à peu près semblables. La disgrâce du prince héritier constituant un véritable exil, il le passait de son mieux, et depuis dix ans « faisait la fête » dans tous les cabarets du boulevard avec un entrain de croque-mort. Le roi d’Illyrie avait son appartement dans l’hôtel d’Axel aux Champs-Élysées. Il y coucha quelquefois d’abord, bientôt aussi souvent qu’à Saint-Mandé. Ces absences expliquées,