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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/163

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LES ROIS EN EXIL

avec le magasin, quelque commis venait chercher en chuchotant les renseignements les plus hétéroclites. « On demande le pleyel de Mme Karitidès… La personne de l’hôtel de Bristol est là… » Elle semblait au fait de tout, répondait par un mot, par un chiffre, et le roi très troublé se demandait si cet ange en boutique, cet être aérien, connaissait vraiment les manigances, les flibusteries de l’Anglais.

« Non, madame, l’affaire qui m’amène n’est pas urgente… ou du moins elle ne l’est plus… Mes idées ont bien changé depuis une heure… »

Il se penche au grillage en balbutiant cela, très ému, puis s’arrête et se reproche son audace devant la placide activité de cette femme, ses longs cils effleurant les pages, sa plume filant en lignes régulières. Oh ! comme il voudrait l’arracher de sa prison, l’emporter entre ses bras, bien loin, avec ces tendresses murmurantes et berçantes dont on rassure les petits enfants. La tentation devient si forte qu’il est obligé de s’enfuir, de prendre congé brusquement, sans avoir vu J. Tom Lévis.

La nuit venait, brouillardeuse et transie. Le roi, ordinairement si frileux, ne s’en aperçut pas, renvoya sa voiture et se rendit à pied au Grand-Club par ces larges voies qui vont de la Madeleine à la place Vendôme, si enthousiasmé, transporté, qu’il parlait seul, tout