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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/167

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LES ROIS EN EXIL

il s’était rendu si agréable, si indispensable à tous ces messieurs, qu’il était resté de la maison, l’organisateur à vie des parties, des fêtes un peu monotones de l’endroit, apportant à ces plaisirs l’imprévu d’une imagination pittoresque et d’une éducation promenée à travers tous les mondes. « Mon cher Wattelet… Mon petit Wattelet… » On ne pouvait se passer de lui. Il était l’intime de tous les membres du club, de leurs femmes, de leurs maîtresses, dessinait à l’endroit d’une carte le costume de la duchesse de V… pour le prochain bal de l’ambassade, au revers la jupe folâtre sur le maillot couleur de chair de Mlle Alzire, le petit rat musqué du duc. Le jeudi, son atelier s’ouvrait à tous ses nobles clients, heureux de la liberté, du sans-gêne bavard et fantaisiste de la maison, du papillotement de couleurs douces venant des tapisseries, des collections, des meubles laqués et des toiles de l’artiste, une peinture qui lui ressemblait, élégante, mais un brin canaille, des portraits de femmes pour la plupart exécutés avec une entente de la supercherie parisienne, des teints déguisés, des cheveux fous, un art de la fanfreluche coûteuse, cascadante, bouffante et traînante, qui faisait dire à Spricht dans une dédaigneuse condescendance du commerçant parvenu pour le peintre qui arrive : « Il n’y a que ce petit-là qui sache peindre les femmes que j’habille. »