Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
164
LES ROIS EN EXIL

père Leemans n’est pas juif pourtant. C’est un Belge de Gand, catholique, et la petite a beau s’appeler Séphora, c’est une juive métis, le teint, les yeux de la race, mais pas son nez en bec de proie ; au contraire, le plus joli petit nez droit. Je ne sais pas où elle l’a décroché par exemple… le père Leemans vous a une de ces trognes ! Ma première médaille au Salon, cette trogne-là… Mon Dieu, oui, le bonhomme montre dans un coin de l’ignoble bouge de la rue Eginhard, de ce qu’il appelle sa brocante, son portrait en pied signé Wattelet, et pas un de mes plus mauvais encore ! Une façon que j’avais trouvée de m’insinuer dans la baraque et de faire ma cour à Séphora, pour qui j’ai eu un de ces béguins…

— Un béguin ?… fit le roi, à qui le dictionnaire parisien laissait toujours quelque surprise… Ah ! oui… je comprends… Continue…

— Il n’y avait pas que moi d’allumé, bien sûr. Tout le jour c’était une procession dans le magasin de la rue de la Paix ; car il faut vous dire, Monseigneur, que le père Leemans en ce temps-là avait deux installations. Très malin, le vieux avait compris le changement qui s’est fait dans le bibelot, pendant ces vingt dernières années. Le romantique brocanteur des quartiers noirs, à la façon d’Hoffmann et même de Balzac, a fait place au marchand de curiosités installé dans le Paris du luxe avec devan-