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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/195

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LES ROIS EN EXIL

mettait sa conscience à nu. Tout était sec et mort, couleur d’herbier. La manie, cruelle comme le ver imperceptible des naturalistes, avait tout perforé, rongé de part en part. Il ne s’émut que lorsque Élisée le menaça d’avertir la reine. Alors seulement le maniaque lâcha sa loupe, et à voix basse, avec de gros soupirs de dévote à confesse, il fit des aveux. Bien des choses se passaient sous ses yeux, qu’il ne pouvait défendre, qui le désolaient… Le roi était mal entouré… Epoi che volete ? Il n’avait pas la vocation de régner… pas le goût du trône… Il ne l’avait jamais eu… Ainsi, tenez ! je me rappelle… il y a bien longtemps de ça… du vivant de feu Léopold… lorsque le roi eut sa première attaque en sortant de table, et qu’on vint dire à Christian qu’il allait sans doute succéder à son oncle, l’enfant — il avait douze ans à peine et jouait au crocket dans le patio de la résidence, — l’enfant se mit à pleurer, à pleurer… une vraie crise de nerfs… Il disait : « Je ne veux pas être roi… Je ne veux pas être roi… Qu’on mette mon cousin Stanislas à ma place… » Je me suis rappelé bien souvent, en la retrouvant dans les yeux de Christian II, l’expression effarée et peureuse qu’il avait ce matin-là, cramponné de toutes ses forces à son maillet, comme s’il avait peur qu’on l’emportât dans la salle du trône, et criant : « Je ne veux pas être roi !… »