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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/231

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LES ROIS EN EXIL

gaminaille, d’ancien mobile de 48, le véritable Tom Lévis, c’est-à-dire Narcisse Poitou, fils d’un menuisier de la rue de l’Orillon.

Grandi dans les copeaux de l’établi paternel jusqu’à dix ans, de dix à quinze élevé par la Mutuelle et par la rue, cette incomparable école à ciel ouvert, Narcisse avait senti s’éveiller en lui de bonne heure l’horreur du peuple et des métiers manuels, en même temps une imagination dévorante que le ruisseau parisien, avec ce qu’il charrie d’hétéroclite, alimentait mieux que n’importe quelle traversée au long cours. Tout enfant, il combinait des projets, des affaires. Plus tard, cette mobilité du rêve l’empêchait de fixer ses forces, de les rendre productives. Il voyagea, entreprit mille métiers. Mineur en Australie, squatter en Amérique, comédien à Batavia, recors à Bruxelles, après avoir fait des dettes dans les deux mondes, laissé des pavés aux quatre coins de l’univers, il s’installa agent d’affaires à Londres, où il vécut assez longtemps, où il aurait pu réussir, sans sa terrible imagination insatiable, toujours en quête, imagination de voluptueux en perpétuelle avance sur le plaisir prochain, qui le rejeta à la noire misère britannique. Cette fois il roula très bas, fut ramassé la nuit dans Hyde Park, comme il braconnait les cygnes du bassin. Quelques mois de prison achevèrent de le dégoûter de la libre Angleterre, et il revint