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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/249

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LES ROIS EN EXIL

affaires et détestant les paroles inutiles ; seulement, quand son gendre vint encore lui parler de commandites pour un de ces merveilleux châteaux en Espagne que son éloquence élevait jusqu’aux cieux, le brocanteur eut un sourire dans sa barbe, signifiant très net : « N, i, ni… c’est fini », et un abaissement des paupières qui semblait ramener à la raison, au niveau des choses faisables, les extravagances de Tom. L’autre savait cela ; et comme il tenait sagement à ce que l’affaire d’Illyrie ne sortît pas de la famille, il dépêcha Séphora vers le brocanteur, qui s’était pris en vieillissant d’une sorte d’affection pour son unique enfant, chez qui d’ailleurs il se sentait revivre.

Depuis la mort de sa femme, Leemans avait cédé son magasin de curiosités de la rue de la Paix, se contentant de sa brocante. C’est là que Séphora vint le trouver un matin de bonne heure, pour être sûre de le rencontrer, car il restait peu chez lui, le vieux. Immensément riche et retiré du trafic, au moins en apparence, il continuait à fureter dans Paris du matin au soir, courait les marchands, suivait les ventes, cherchant l’odeur, le frottis des affaires, et surtout surveillant avec une acuité merveilleuse la foule de petits brocanteurs, industriels, marchands de tableaux, de bibelots, qu’il commanditait, sans l’avouer, de peur qu’on soupçonnât sa fortune.