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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/25

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LES ROIS EN EXIL

labres, deux grosses lampes posées sur les buffets, on y voyait à peine, comme si le jour, brutalement chassé avant l’heure, avait laissé sur les choses l’hésitation d’un crépuscule. Ce qui ajoutait à cette tristesse d’apparence, c’était la longueur et la disproportion de la table avec le petit nombre des convives, une table que l’on avait cherchée dans tout l’hôtel, conforme aux exigences de l’étiquette, et où le roi et la reine prirent place ensemble à l’un des bouts, sans personne à leurs côtés ni en face. Ceci remplit d’étonnement et d’admiration la petite princesse de Rosen. Dans les derniers temps de l’empire, admise à un dîner aux Tuileries, elle se souvenait bien d’avoir vu l’empereur et l’impératrice bourgeoisement assis en face l’un de l’autre, comme les premiers mariés venus à leur repas de noces. « Ah ! voilà, se dit la petite cocodette, fermant son éventail d’un geste résolu et le posant près d’elle, à côté de ses gants. La légitimité !… Il n’y a que ça.» Cette pensée transformait, à ses yeux, cette espèce de table d’hôte dépeuplée dont l’aspect rappelait les splendides auberges de la Corniche Italienne, entre Monaco et San-Remo, au commencement de la saison, quand le gros des touristes n’est pas encore arrivé. Le même bariolage de monde et de toilettes : Christian en veston, la reine dans son amazone de voyage, Herbert et sa femme