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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/267

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LES ROIS EN EXIL

En bas, dans le petit cercle réservé au pied des gradins, on se montre la princesse Colette de Rosen, la femme du lauréat, délicieuse en toilette bleu verdâtre, cachemire de l’Inde et moire antique, l’air triomphant, épanouie sous les effilochures de ses cheveux de lin fou. Près d’elle, un gros homme à visage commun, le père Sauvadon, très fier d’accompagner sa nièce, mais qui dans son zèle ignorant, son désir de faire honneur à la cérémonie solennelle, s’est mis en tenue de soirée. Cela le rend très malheureux ; gêné par sa cravate blanche comme par une cangue, il guette tous les gens qui entrent, espérant trouver un compère à son habit. Il n’y en a pas.

De ce papillonnement de couleurs et de figures animées monte bientôt un bruissement de voix très fort, rythmé mais distinct, et qui établit un courant magnétique d’un bout à l’autre de la salle. Le moindre léger rire s’égrène, se communique ; le moindre signe, le geste muet de deux mains écartées qui d’avance se préparent à applaudir, s’aperçoit du haut en bas des gradins. C’est l’émotion montée, la bienveillance curieuse d’une belle première représentation où le succès serait certain ; et lorsque de temps en temps prennent place des célébrités, le frémissement de toute cette foule va vers elles, éteignant seulement sur leur passage sa rumeur curieuse ou admirative…