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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/291

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LES ROIS EN EXIL

poussiéreuses, gisait un Christ d’argent noirci ; car si Christian II n’écrivait guère, il se souvenait de son éducation catholique, s’entourait d’objets de piété, et parfois, faisant la fête chez les filles, tandis que sonnaient autour de lui les fanfares essoufflées du plaisir, égrenait dans sa poche, d’une main déjà moite d’ivresse, le rosaire en corail qui ne le quittait jamais. À côté du Christ une large et lourde feuille de parchemin, chargée d’une grosse écriture un peu tremblée. C’était l’acte de décès de la royauté, tout dressé. Il n’y manquait que la signature, un trait de plume, mais une décision violente de volonté ; et c’est pourquoi le faible Christian II tardait, les deux coudes appuyés à la table, immobile sous le feu des bougies préparées pour le sceau royal.

Près de lui, inquiet, fureteur, velouté comme un sphinx de nuit ou l’hirondelle noire des ruines, Lebeau, le valet intime, le guettait, l’excitait muettement, arrivé enfin à cette minute décisive que la bande attendait depuis des mois, avec des hauts, des bas, tous les battements de cœur, toutes les incertitudes d’une partie aux mains de ce chiffon de roi. Malgré le magnétisme de ce désir oppressant, Christian, la plume aux doigts, ne signait toujours pas. Plongé, enfoncé dans son fauteuil, il regardait le parchemin et rêvait. Ce n’est pas qu’il y tînt à cette couronne qu’il n’avait