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LES ROIS EN EXIL

anciennes, où les lustres de Hollande et de Venise, les lanternes de mosquées tombant des plafonds, éclairaient une étrange décoration : tentures frissonnantes aux reflets d’or verts et rouges, lourdes châsses d’argent massif, ivoires encadrés et fouillés, vieilles glaces aux étains noircis, reliquaires, étendards, richesses du Monténégro et de l’Herzégovine que le goût parisien avait su grouper, assembler, sans rien de criard ni de trop exotique. L’orchestre, sur une tribune d’ancien oratoire rappelant celui de Chenonceaux, s’entourait d’oriflammes abritant des fauteuils réservés à la reine et au roi ; et en contraste à tout ce passé, dans ces reflets de riches antiquailles, qui auraient transporté le père Leemans, les valses du jour entraînantes et tourbillonnantes, les valseuses aux longues traînes ouvragées, aux yeux brillants et fixes dans la vapeur des cheveux crépelés, passaient comme un défi de l’éclatante jeunesse, avec des visions blondes, amincies et flottantes, et de brunes apparitions d’une pâleur moite. De temps en temps, de cet enchevêtrement de danseurs lancés en rond, de cette mêlée d’étoffes soyeuses qui met dans la musique des bals un coquet et mystérieux chuchotement, un couple se détachait, franchissait la haute porte-fenêtre, recevait sur les deux têtes inclinées en sens inverse l’éclair blanc du fronton où le chiffre de la reine s’allongeait en