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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/337

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LES ROIS EN EXIL

L’habit noir, chargé de croix et d’ordres, la cravate blanche, ne le changeaient guère, ni même les vingt ans qu’il y avait en plus sur cette énorme tête de nain tellement brûlée par la poudre et le hâle des monts que sa veine frontale, effrayante et caractéristique, se voyait à peine. Avec elle, l’entêtement royaliste semblait s’être atténué, comme si le cabecilla avait laissé au fond du béret basque, jeté par lui dans un torrent à la fin de la campagne, une partie des anciennes croyances, des illusions de sa jeunesse.

Élisée fut étrangement surpris d’entendre parler son ancien maître, celui qui l’avait fait ce qu’il était :

— Vois-tu, mon petit Eli…

Le petit Eli avait deux pieds de plus que lui et pas mal de mèches grisonnantes.

— … C’est fini, il n’y a plus de rois… Le principe est debout, mais les hommes manquent. Pas un de ces désarçonnés qui soit capable de se remettre en selle, pas un même qui en ait le vrai désir… Ah ! ce que j’ai vu, ce que j’ai vu, pendant cette guerre !…

Une buée sanglante envahit son front, injecta ses yeux fixes, comme agrandis d’une vision de hontes, de lâchetés, de trahisons.

— Mais tous les rois ne sont pas les mêmes, protesta Méraut, et je suis sûr que Christian…

— Le tien ne vaut pas mieux que le nôtre…