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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/346

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sera pas lâcher ainsi… Ce n’est pas qu’elle tienne au roi, mais l’affaire, le grand coup, tous ses amours-propres sont en jeu vis-à-vis de ses associés… Allons ! son plan est fait… Montée à sa chambre, elle écrit un mot à Tom ; puis, pendant que les domestiques dans le sous-sol dînent et bavardent sur la journée solitaire et si agitée de leur maîtresse, madame la comtesse, de ses petites mains pas maladroites, prépare une valise de voyage qui a fait souvent le trajet de l’agence à Courbevoie, jette sur ses épaules un manteau de laine beige pour la nuit froide et sort furtivement de son palais vers la prochaine station de voitures, à pied, son petit sac à la main, comme une demoiselle de compagnie qui a reçu son compte.

Christian II, de son côté, n’avait pas passé une journée moins inquiète. Resté au bal très tard avec la reine, il s’était réveillé la tête et le cœur remplis de l’héroïque bourdonnement des guzlas. Les préparatifs du voyage, ses armes à visiter ainsi que le costume de lieutenant général qu’on n’avait pas mis depuis Raguse, tout cela le menait jusqu’à onze heures, entouré, surveillé par Lebeau très perplexe et n’osant pousser trop loin ses insinuations questionneuses. À onze heures, la petite cour se réunissait autour d’une messe basse dite par le Père Alphée dans le salon transformé en oratoire, la cheminée servant d’autel, les lambrequins de