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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/363

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LES ROIS EN EXIL

foudroyés, tout ce peuple abrité dans des huttes, dans des cavernes, d’où il s’élance au moindre roulement de roues. Elles espérait échapper par là à l’ennuyeuse et monotone cantilène d’amour ; et Christian admirait sa patience touchante à écouter les interminables discours de ces bonnes gens de campagne qui ont du temps et du large pour tout ce qu’ils font.

À Franchart, elle voulut tirer de l’eau au fameux puits des anciens moines, si profond que le seau met près de vingt minutes à remonter. C’est Christian qui s’amusait !… Là encore une bonne femme, médaillée comme un vieux gendarme, leur montra les beautés du site, l’ancienne mare au bord de laquelle se faisait la curée du cerf, racontant depuis tant d’années la même histoire dans les mêmes termes, qu’elle se figurait avoir fait partie du couvent, et, trois cents ans après, avoir assisté en personne aux somptueuses villégiatures du premier Empire. « C’est ici, monsieur, madame, que le grand empereur s’asseyait le soir avec toute sa cour. » Elle montrait dans les bruyères un banc de grès à trois ou quatre places. Puis d’un ton hautain : « En face, l’impératrice avec ses dames d’honneur… » C’était sinistre, l’évocation des pompes impériales au milieu des roches éboulées, plantées d’arbres tordus et de genêts secs. « Venez-vous, Séphora ?… » disait Christian ; mais Séphora