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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/455

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LES ROIS EN EXIL

l’approbation unanime des confrères avouant que pour cette fois le succès est allé à un vrai savant, non au charlatanisme déguisé. Ce qui vaut à Bouchereau cette renommée, cette affluence extraordinaire, c’est moins sa poigne merveilleuse d’opérateur, ses admirables leçons d’anatomie, sa connaissance de l’être humain, que la lumière, la divination qui le guide, plus claire, plus solide que l’acier des outils, cet œil génial des grands penseurs et des poètes, qui fait de la magie avec la science, voit au fond et au delà. On le consulte comme la pythonisse, d’une foi aveugle, sans raisonnement. Quand il dit : « Ce n’est rien… » les boiteux marchent et les moribonds s’en vont guéris ; de là cette popularité, pressante, étouffante, tyrannique, qui ne laisse pas à l’homme le loisir de vivre, de respirer. Chef de service dans un grand hôpital, il fait chaque matin sa tournée très longue, très minutieuse, suivie d’une jeunesse attentive qui regarde le maître comme un dieu, l’escorte, lui tend ses outils, car Bouchereau n’a jamais de trousse, emprunte à quelqu’un près de lui l’instrument dont il a besoin et qu’il oublie régulièrement de restituer. En sortant, quelques visites. Puis il revient vite à son cabinet, et souvent sans se donner le temps de manger, commence ses consultations qui se prolongent très tard dans la soirée.

Ce jour-là, quoiqu’il ne fût guère plus de