Aller au contenu

Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/462

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

loureuses, le petit baissant la tête comme si le jour en face le blessait.

— Qu’est-ce qu’il a ? dit Bouchereau l’attirant à lui avec un accent de bonté, un geste paternel, car sous la dureté de son visage se cache une sensibilité exquise que quarante ans de métier n’ont pas émoussée encore. La mère avant de répondre fait signe à l’enfant de s’éloigner, puis d’une belle voix grave, à l’accent étranger, raconte que son fils a perdu l’œil droit, l’an dernier, par accident. Maintenant des troubles surviennent au côté gauche, des brumes, des éblouissements, une altération sensible de la vue. Pour éviter la cécité complète, on conseille l’extraction de l’œil mort. Est-elle possible ? L’enfant est-il en état de la supporter ?

Bouchereau écoute avec attention, penché au bord de son fauteuil, ses deux petits yeux vifs de Tourangeau fixés sur cette bouche dédaigneuse, aux lèvres rouges d’un sang pur, que le fard n’a jamais touchées. Puis, quand la mère a fini :

— L’énucléation qu’on vous conseille, madame, se fait journellement et sans aucun danger, à moins de circonstances tout à fait exceptionnelles… Une fois, une seule fois, en vingt ans, j’ai eu dans mon service à Lariboisière un pauvre diable qui n’a pas pu la supporter… Il est vrai que c’était un vieillard, un triste ramasseur