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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/65

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LES ROIS EN EXIL

blaient comme au passage d’une voiture de poste, et la dame du comptoir disait avec orgueil à tous ceux qui entraient : « Arrivez vite… nous avons M. Méraut. » Ah ! Pesquidoux, Larminat pouvaient être forts, il les enfonçait tous. Il devint l’orateur du quartier. Cette gloire qu’il n’avait pas cherchée lui suffit, si bien qu’il s’y attarda fatalement. Tel fut le sort de plus d’un Larminat à cette époque, — belles forces perdues, moteurs ou leviers laissant partir à grand bruit leur vapeur inutile, par désordre, incurie ou direction mauvaise du volant conducteur. Chez Élisée, il y eut encore autre chose : sans intrigue, sans ambition, ce Méridional, qui n’avait pris à son pays que la fougue, se considérait comme le missionnaire de sa foi, et il montrait bien en effet du missionnaire le prosélytisme infatigable, la nature indépendante et vigoureuse, le désintéressement qui fait bon marché du casuel, des prébendes, d’une vie même livrée aux plus durs hasards de la vocation.

Certes, depuis dix-huit ans qu’il jetait ses idées en semaille dans le Paris de la jeunesse, plus d’un maintenant arrivé très haut et qui disait avec dédain : « Ah ! oui, Méraut… un vieil étudiant ! » avait fait le meilleur de sa gloire des bribes insouciamment dispersées à tous les coins de table où ce singulier garçon s’asseyait. Élisée le savait, et quand il retrou-