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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/69

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LES ROIS EN EXIL

pittoresque, flattait si bien les convictions du Méridional en les rattachant — pour les sauver de la lucidité moderne — au plus lointain des siècles et des pays de tradition, qu’il y revint souvent depuis, à la grand joie de l’ami Dreux, tout fier du succès de sa Marguerite.

Le soir du rendez-vous, il était près de minuit, lorsque Élisée Méraut quitta les rues grondantes du quartier Latin, où les chaudes rôtisseries, les charcuteries enrubannées, les boutiques de victuailles ouvertes, les brasseries à femmes, les garnis d’étudiants, tous les débits de prunes de la rue Racine et du « Boul Mich » mettaient pour jusqu’au matin l’odeur et le flamboiement d’une ripaille universelle. Sans transition, il tombait dans la tristesse des avenues désertes où le passant, rapetissé par le reflet du gaz, semble ramper plus qu’il ne marche. Le carillon grêle des communautés tintait par-dessus leurs murs dépassés de squelettes d’arbres ; des bruits et des chaleurs de paille remuée, d’étables en sommeil, venaient des grandes cours fermées des nourrisseurs ; et pendant que la rue large gardait de la neige tombée durant le jour, des blancheurs vagues et piétinées, là-haut, dans les étoiles aiguisées par le froid, le fils du bourgadier marchant en plein rêve d’ardeur croyante, s’imaginait reconnaître celle qui guida les rois à Bethléem. En la regardant, cette étoile, il se rappelait