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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/79

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LES ROIS EN EXIL

— On peut être sûr toujours qu’il n’y met pas du sien.

Le fait est qu’en Illyrie, Rosen était synonyme d’Harpagon. À Paris même, ce renom de ladrerie avait suivi le duc et se trouvait confirmé par le mariage de son fils, mariage conclu dans les agences spéciales, et que toute la gentillesse de la petite Sauvadon n’empêchait pas d’être une sordide mésalliance. Cependant Rosen était riche. Le vieux pandour, qui portait tous ses instincts rapaces et pillards écrits dans son profil d’oiseau de proie, n’avait pas fait la guerre aux Turcs et aux Monténégrins uniquement pour la gloire. À chaque campagne, ses fourgons revenaient pleins, et le magnifique hôtel qu’il occupait à la pointe de l’île Saint-Louis, tout auprès de l’hôtel Lambert, regorgeait de choses précieuses, tentures d’Orient, meubles du moyen âge et de la chevalerie, triptyques d’or massif, sculptures, reliquaires, étoffes brodées et lamées, butin de couvents ou de harems entassé dans une suite d’immenses salons de réception ouverts seulement une fois lors du mariage d’Herbert et de la fête féerique payée par l’oncle Sauvadon, mais qui depuis, mornes et verrouillés, conservaient leurs richesses derrière les rideaux rejoints, les volets clos, sans craindre même l’indiscrétion d’un rayon de soleil. Le bonhomme menait là une véritable existence