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Page:Daudet - Jack, II.djvu/121

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et dresse son grand front encore agrandi parce qu’il se déplume. Il attend l’inspiration. Par un contraste assez fréquent en ménage, Charlotte n’est pas aussi bien disposée. On dirait qu’il y a un nuage sur ses yeux brillants. Elle est pâle, distraite, mais toujours docile, car, malgré sa fatigue évidente, elle commence à tremper sa plume dans l’encrier, délicatement, le petit doigt en l’air, comme une chatte qui a peur de se salir les pattes.

— Voyons, Lolotte, y es-tu ? Nous en sommes au chapitre premier… As-tu écrit chapitre premier ?

— Chapitre premier… dit Charlotte d’une voix triste.

Le poëte la regarde, agacé ; puis commence, avec un parti pris évident de ne pas la questionner, de ne point s’informer de son chagrin :

— « Dans un vallon perdu des Pyrénées, de ces Pyrénées si fécondes en légendes… De ces Pyrénées si fécondes en légendes… »

Ce retour de phrase l’enchante. Il le répète plusieurs fois avec des modulations de vanité ; puis, enfin, se tournant vers Charlotte :

— Tu as mis « si fécondes en légendes ?… »

Elle essaie de répéter « si fé… si fécondes ; » mais elle s’arrête, la voix entrecoupée de sanglots.

Charlotte pleure. Elle a eu beau mordre sa plume, serrer ses lèvres pour se retenir. Cela déborde. Elle pleure, elle pleure…