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Page:Daudet - Jack, II.djvu/128

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obsessionnant. Ce que le vent veut lui dire, elle s’en doute bien. Il aura vu en pleine mer, car il est partout à la fois, un grand navire se débattre au milieu des flots, heurter ses flancs, perdre ses mâts, rouler dans l’abîme avec des bras tendus, des visages effarés et blêmes, des chevelures plaquées sur des regards fous, et des cris, des sanglots, des adieux, des malédictions jetées au seuil de la mort. Son hallucination est si forte qu’elle croit entendre parmi les rumeurs qui lui viennent du lointain naufrage une plainte vague à peine articulée :

— Maman !

C’est sans doute une illusion, une erreur de sa pensée inquiète.

— Maman !

Cette fois, la plainte est un peu plus forte… Mais non, c’est impossible. Les oreilles lui tintent, bien sûr… Ô Dieu, est-ce qu’elle va devenir folle ?… Pour échapper à cette surprise de ses sens, Charlotte se lève, marche dans le salon… Pour le coup, quelqu’un a appelé. Cela vient de l’escalier. Elle court ouvrir la porte.

Le gaz est éteint, et la lampe qu’elle tient à la main dessine en ombre sur les marches les arabesques de la rampe… Rien, personne… Pourtant elle est sûre d’avoir entendu. Il faut voir encore. Elle se penche, en levant bien haut sa lumière. Alors, quelque chose de doux et d’étouffé, qui tient à la fois du rire et du san-