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Page:Daudet - Jack, II.djvu/132

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reaux de la Revue pour discuter le numéro, et deux fois par semaine, il y avait un grand dîner au quatrième. D’Argenton, qui ne pouvait plus se passer d’avoir beaucoup de monde autour de lui, se déguisait cette faiblesse à ses propres yeux avec l’étonnante phraséologie dont il avait le secret :

— Il faut faire un groupe… Il faut se serrer, se sentir les coudes.

Et l’on se serrait, dam ! On se serrait autour de lui à le presser, à l’étouffer. Dans tout le groupe, celui dont il sentait le mieux les coudes, des coudes pointus, osseux, insinuants, c’était Évariste Moronval, secrétaire de la rédaction à la Revue des races futures. Moronval avait eu le premier l’idée de la revue, qui lui devait son titre palingénésique et humanitaire. Il corrigeait les épreuves, surveillait la mise en pages, lisait les articles, les romans, et enfin relevait, par des paroles enflammées, le courage chancelant du directeur devant le mauvais vouloir des abonnés et les frais incessants du magazine.

Pour ces services multipliés, le mulâtre avait un traitement fixe assez mince, mais qu’il arrondissait par toutes sortes de travaux supplémentaires payés à part, et des emprunts continuels. Depuis longtemps le Gymnase de l’avenue Montaigne avait fait faillite ; mais son directeur n’avait pas renoncé entièrement à l’élève des petits « pays chauds, » et venait toujours à la revue flanqué des deux derniers produits qui lui