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Page:Daudet - Jack, II.djvu/144

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quin… Et dire que si je ne t’avais pas rencontré par hasard chez les Archambauld, j’aurais pu garder cette pensée-là encore longtemps !

C’était, en effet, dans la petite maison du forestier que M. Rivals venait de retrouver son ancien ami.

Depuis dix jours qu’il habitait les Aulnettes, Jack vivait comme un brahme contemplateur, plongé dans le grand silence de la nature, humant les derniers beaux jours, se pénétrant de leurs soleils attiédis, ne sortant de chez lui que pour s’enfoncer dans le calme vivant de la forêt. Les arbres lui donnaient de leur sève, le sol de sa vigueur, et parfois, en secouant son front pour y réveiller la pensée, il lui semblait qu’il perdait un peu de sa laideur de malade et de forçat sous le ciel fin, profond, épuré, dont l’automne aux tranquilles rayons laissait voir au loin les espaces.

Les seuls êtres humains avec lesquels il fût en relation étaient les Archambauld, dont il avait conservé un si bon souvenir. La femme lui rappelait sa mère qu’elle avait servie longtemps, affectueuse et fidèle ; l’homme, le bon géant silencieux et sauvage, absorbé comme un faune dans la végétation du bois, évoquait pour lui tout un passé de promenades délicieuses et fortifiantes. Il revivait son enfance, entre ces deux solitaires. La femme lui achetait son pain, ses provisions, et souvent quand il avait la paresse de rentrer chez lui, il faisait cuire lui-même dans la cendre de leur foyer quelque repas élémentaire. Il restait là sur un banc