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Page:Daudet - Jack, II.djvu/155

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— S’il en boit, lui, un chauffeur ! Elle est étonnante cette petite fille… Tu ne sais donc pas que c’est de cela qu’ils vivent, ces pauvres diables… Tiens, à bord de la Bayonnaise, nous en avions un qui cassait les niveaux à alcool pur et buvait le contenu… Tu peux lui faire son grog carabiné, va ! il ne le sera jamais trop pour lui.

Elle regarda Jack d’un air bien doux, bien triste :

— En voulez-vous ?

— Non, merci, mademoiselle… dit-il tout bas, presque honteux. Et s’il fit un petit effort pour retirer son verre, il en fut bien récompensé par un de ces remerciements éloquents que certaines femmes savent dire sans parler et que comprennent seulement ceux à qui elles s’adressent.

— Allons, encore une conversion !… dit le brave docteur en avalant son grog avec une grimace comique ; car, pour sa part, il n’était converti qu’à demi, à la manière des sauvages, qui ne consentent à croire en Dieu que pour faire plaisir au missionnaire.

Les paysans d’Étiolles, occupés dans leurs champs, qui virent Jack revenir de chez les Rivals ce jour-là dans l’après-midi et s’en aller sur la route à grandes enjambées, purent croire qu’il était devenu fou ou que, trop copieux, le déjeuner du docteur avait désarçonné sa cervelle. Il gesticulait, parlait tout seul, menaçait l’horizon de son poing, en proie à une agitation,