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Page:Daudet - Jack, II.djvu/160

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de Villeneuve-Saint-Georges où il s’était arrêté pour faire croire à une brave casquette à oreillons que sa mère habitait là, le tas de pierre au long du fossé où un corps étendu lui avait fait si grand’peur, et le cabaret borgne, coupe-gorge hideux tant de fois évoqué dans ses rêves !… Hélas, en fait de bouge, il en avait vu bien d’autres. Les figures sinistres d’ouvriers en ribote, de rôdeurs de barrières, dont il s’était si fort effrayé autrefois, n’avaient plus de quoi le surprendre, et il songeait en les coudoyant que si le Jack de sa jeunesse, se dressant tout à coup de la poussière de la route avec sa marche hésitante et hâtée d’écolier fugitif, rencontrait le Jack de maintenant, il en aurait plus peur peut-être que de toute autre apparition lugubre.

Il arriva à Paris vers une heure de l’après-midi, dans une pluie maussade et froide ; et poursuivant la comparaison qu’il faisait de ses souvenirs avec l’heure présente, il se rappela l’aube splendide, la belle déchirure d’un ciel de mai, dans laquelle sa mère lui était apparue au bout de son premier voyage, comme un archange Michel enveloppé de gloire et chassant devant sa lumière les sombres cohortes de la nuit. Au lieu de la petite villa des Aulnettes, où son Ida chantait au milieu des fleurs, sous le porche caverneux et froid de la Revue des races futures, d’Argenton, qui sortait, lui apparut, suivi de Moronval chargé d’épreuves et d’un escadron de Ratés épuisant dans