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Page:Daudet - Jack, II.djvu/173

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gnité, du chocolat plein son sac pour grignoter pendant la route, et une foule de phrases apprises par cœur, soufflées par son « artiste. » M. Rivals la reçut au rez-de-chaussée, et, sans se laisser intimider par la réserve apparente de la dame, par le pincement de ses lèvres épanouies et l’effort qu’elle faisait pour contenir sa langue exubérante, lui dit tout d’un trait :

— Je dois vous prévenir, madame, que c’est moi qui ai empêché Jack de retourner aux Aulnettes… Il y allait de sa vie… Oui, madame, de sa vie… Votre fils passe par une crise terrible de fatigue, d’épuisement, de croissance. Heureusement, il est encore à l’âge où les tempéraments se reforment, et j’espère bien que le sien résistera à cette rude atteinte, si toutefois vous ne le confiez pas à votre misérable Hirsch, à cet assassin qui l’asphyxiait avec de l’encens, du musc, du benjoin, sous prétexte de le guérir. Vous ne saviez pas cela, j’imagine. J’ai été le reprendre aux Aulnettes, dans des tourbillons de fumée, parmi des aspirateurs, des inhalateurs, des brûle-parfums. J’ai même fait sauter toute cette médecine d’un coup de pied, et le médecin avec, j’en ai peur. À l’heure qu’il est, l’enfant est hors de danger. Laissez-le moi encore quelque temps, je me charge de vous le rendre, plus vigoureux qu’auparavant, et capable de reprendre sa dure existence ; mais si vous le livrez à cet affreux droguiste, je penserai que votre fils vous gêne et que vous avez voulu vous en défaire.