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Page:Daudet - Jack, II.djvu/175

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ça, vers par vers… Alors il prend des leçons de japonais, moi aussi, tu penses. Et c’est dur… Non, vrai, je commence à croire que la littérature n’est pas mon fait. Il y a des jours où je ne sais plus ce que je fais, ce que je dis… Et cette revue, qui ne nous rapporte pas un sou, qui n’a pas même un abonné… À propos, tu sais, ce pauvre « bon ami… » Eh bien ! il est mort… Cela m’a fait une peine… Est-ce que tu te souviens de lui ? »

À ce moment, Cécile entra.

— Ah ! mademoiselle Cécile… Comme vous avez grandi… Comme vous êtes belle !

Elle faisait les grands bras, secouait toutes les dentelles de son mantelet pour embrasser la jeune fille ; mais Jack était un peu gêné. D’Argenton, « bon ami, » pour rien au monde il n’eût causé de tout cela devant Cécile ; et plusieurs fois, il détourna le babil oiseux de sa mère qui n’avait pas les mêmes scrupules. C’est que, tout en se sentant très tendre pour Charlotte, il mettait à leur place ces deux amours de sa vie : l’un le protégeait, par l’autre il protégeait, et il entrait autant de pitié dans sa tendresse filiale qu’il y avait de respect dans son premier élan amoureux.

On voulait retenir madame d’Argenton à dîner ; mais elle trouvait qu’elle était restée bien longtemps, trop longtemps pour l’égoïsme féroce du poëte. Aussi à partir d’une certaine heure jusqu’au départ, elle fut inquiète, préoccupée. Elle forgeait d’avance la petite histoire qu’elle raconterait en arrivant pour s’excuser.