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Page:Daudet - Jack, II.djvu/182

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nerie de ressorts usés jusqu’à l’âme. Ce bruit n’ôtait rien du reste au charme de la course que les étoiles, si nombreuses en automne, suivaient de haut comme une pluie d’or suspendue dans l’air vif. On longeait des murs de parcs débordant de branches frôleuses, terminés le plus souvent par quelque petit pavillon mystérieux, toutes persiennes closes, comme s’il eût enfermé le passé dans son ombre ; de l’autre côté on avait la Seine, où les maisons d’éclusiers étaient seules éclairées et où glissaient avec lenteur, confiés au courant, de longs trains de bois, des chalands dont les feux allumés à l’avant et à l’arrière brûlaient silencieusement reflétés par le flot.

— Tu n’a pas froid, Jack ?… disait le docteur.

Comment aurait-il eu froid ? Le grand châle de Cécile le touchait de ses franges, et puis il y avait tant de soleil dans ses souvenirs…

Hélas ! pourquoi faut-il un lendemain à ces journées merveilleuses ? Pourquoi faut-il que la vie vous reprenne au rêve ? Jack savait maintenant qu’il aimait Cécile, mais il sentait aussi que son amour le destinait à toutes les souffrances. Elle était trop haut pour lui, et quoiqu’il eût bien changé en vivant à ses côtés, quoiqu’il eût dépouillé un peu de sa rude écorce, il se sentait indigne de la jolie fée qui l’avait transformé. L’idée seule que la jeune fille avait pu deviner sa passion le gênait auprès d’elle. D’ailleurs la santé lui revenait, et il commençait à se sentir honteux de ses longues