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Page:Daudet - Jack, II.djvu/21

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Charlot, vous savez ce que je vous ai dit. Ne jouez plus.

— Oh ! non, plus jamais, dit l’autre en se dépêchant de s’embarquer, pour que son jeune ami ne le vît pas éclater de rire.

Une fois le Nantais parti, Jack n’eut pas la moindre envie de retourner à l’usine. Il se sentait au cœur une allégresse inusitée, dans les veines un bouillonnement, un besoin de crier, de courir, de gesticuler. Même le brouillard blanc répandu sur la Loire, traversé de grands navires noirs qui glissaient au milieu ainsi que des ombres chinoises, lui semblait gai, attirant, comme s’il se fût senti des ailes pour le franchir. Ce qui lui paraissait sinistre, au contraire, c’est tout ce train de marteaux, de chaudronnerie, ce ronflement sourd qu’il connaissait trop bien et qu’il avait grande envie de fuir. Après tout, qu’il fût absent tout un jour ou seulement quelques heures, la saboulée de Lebescam n’en serait pas plus rude. Alors cette bonne idée lui vint.

— Puisque je suis en route, si j’en profitais pour aller jusqu’à Nantes acheter le cadeau de Zénaïde.

Le voilà dans le bateau du passeur, puis à la Basse-Indre, puis à la gare, transporté, lui semblait-il, comme par enchantement, tellement tout lui était facile et léger à accomplir ce matin-là. Mais à la gare il n’y avait pas de départ avant midi. Comment passer le temps ? La salle d’attente était froide et déserte. De-