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Page:Daudet - Jack, II.djvu/236

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comme elle est pâle ! Dans la jeunesse du jour et le soleil levant dont la petite chambre est inondée, les marques du temps paraissent plus creuses sur son visage, et des cheveux blancs qu’elle n’a pas pris la peine de cacher, brillent sur ses tempes éclaircies. Sans songer à essuyer ses larmes, elle parle avec volubilité, raconte tous ses griefs contre l’homme qu’elle vient de quitter, sans ordre, au hasard, car il y en a tant qui se pressent sur ses lèvres et la font bégayer :

— Oh ! que j’ai souffert, mon Jack, depuis dix ans ! Comme il m’a blessée, déchirée… C’est un monstre, je te dis… Il passe sa vie au café, dans des brasseries où il y a des femmes. C’est là qu’ils font leur journal maintenant. Aussi, il est bien fait… Le dernier numéro était d’un creux !… Tu sais, quand il est venu à Indret pour apporter l’argent, j’étais là moi aussi, dans le village en face, et j’avais bien envie de te voir, va ! Mais monsieur n’a pas voulu. Faut-il être méchant, dis ? Il te déteste tant, il t’en veut tellement de te passer de lui. C’est cela surtout qu’il ne te pardonne pas. Et pourtant il nous l’a assez reproché le pain que tu mangeais chez lui. Il est si rat… Veux-tu que je te dise encore une chose qu’il t’a faite ? Jamais je n’aurais voulu t’en parler. Mais aujourd’hui tout déborde. Eh bien ! j’avais dix mille francs pour toi que « Bon ami » m’avait donnés, au moment de cette affaire d’Indret. Il les a mis dans sa revue, oui, mon cher, dans sa revue… Oh ! je sais bien qu’il pensait leur