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Page:Daudet - Jack, II.djvu/259

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rannie. Il avait fallu toute la magie de l’amour pour accomplir cette révolution ; mais elle était accomplie maintenant, et la brave femme se sentait de force à assumer cette grande responsabilité, à affronter les antipathies, les rancunes, les allusions méchantes qui rôdaient à cette heure autour d’elle et ne l’empêchaient pas de sourire à tous de sa large face, en remplissant bravement l’assiette de son garçon : « Te gêne pas, m’ami ! » Le festin commençait à s’animer, quand un froufrou de soie se fit entendre, et la porte s’ouvrit largement pour donner passage à Ida de Barancy, pressée, souriante, éblouissante :

— Je vous demande bien pardon, bonnes gens. Mais j’avais une voiture qui ne marchait pas ; et puis c’est si loin ! j’ai cru que je n’arriverais jamais.

Elle avait mis sa plus belle robe, heureuse de s’habiller, car les occasions de toilette lui manquaient depuis un mois qu’elle vivait avec son fils. Elle produisit un effet extraordinaire. La façon dont elle s’assit à côté de Bélisaire, dont elle mit ses gants dans son verre, dont elle fit signe à un des garçons d’approcher pour lui donner la carte, plongea l’assemblée dans l’admiration. Il fallait voir comme elle les menait ces garçons si imposants, si dédaigneux. Elle avait reconnu l’un d’eux, celui qui terrifiait Bélisaire, pour l’avoir vu dans un restaurant du boulevard où elle soupait quelquefois avec d’Argenton en sortant du théâtre :