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Page:Daudet - Jack, II.djvu/261

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plète, le petit Weber poussa de tels hurlements quand sa mère l’enleva de la chaise qu’il occupait, que l’atmosphère de gêne où les convives agitaient leurs fourchettes bruyamment, se dispersa à tout jamais, et que le repas devint un véritable repas de noces. Chacun mangea ou plutôt se figura manger. Les garçons firent je ne sais combien de fois le tour de la table, exécutant des prodiges de prestidigitation, servant vingt personnes avec un seul canard, un seul poulet, découpés si habilement, que tout le monde en avait, qu’on pouvait même en reprendre. Et les petits pois à l’anglaise tombant en grêle sur les assiettes ; et les haricots à l’anglaise aussi, préparés sur un coin de table, du sel, du poivre, un peu de beurre (et quel beurre !) le tout amalgamé par un garçon qui souriait hargneusement en agitant cette préparation malsaine ! Mais le plus beau, ce fut l’arrivée du champagne. À part Ida de Barancy, qui en avait bu beaucoup dans sa vie, tous ceux qui étaient là ne connaissaient ce vin magique que de nom, et rien que ce mot de champagne signifiait pour eux richesses, boudoirs, parties fines. Ils en parlaient tout bas entre eux, l’attendaient, le guettaient. Enfin, au dessert, un garçon parut tenant une bouteille à chapeau d’argent, qu’il s’apprêta à décoiffer avec des pinces. Au geste que fit pour se boucher les oreilles la nerveuse Ida, qui ne manquait jamais un effet, une pose, rien de ce qui pouvait mettre ses grâces en évidence, toutes les autres femmes se prépa-