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Page:Daudet - Jack, II.djvu/263

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empêcher la brave femme de se choquer de cette grosse plaisanterie traditionnelle. Elle en rit plus fort que tous les autres, pendant que Bélisaire rougissait, rougissait…

Ensuite, ce fut le tour des chansons. Le Camarade se leva le premier, commanda le silence d’un regard, et, la main sur son cœur, entonna d’une voix sentimentale et éraillée une romance populaire de 48 : « Le travail plaît à Dieu. »

Enfants de Dieu, créateur de la terre,
Accomplissons chacun notre métier…

Scélérat de Camarade ! Il avait bien compris ce qu’il fallait chanter pour séduire le courageux ménage dans lequel il venait d’entrer. Mais afin de ne pas laisser l’assemblée sous une impression aussi grave, tout de suite après Le travail plaît à Dieu, il entreprit quelque chose de plus gai :

À Charonne, c’est le moins qu’on entre
Boire un p’tit coup chez Savard…

Il en savait comme cela des centaines. Ah ! c’était un fameux compagnon que M. et madame Bélisaire allaient avoir là ! Quelles délicieuses soirées on passerait rue des Panoyaux ! En attendant, les garçons s’étaient sans doute aperçu des soustractions opérées par les doigts crochus de la tribu Bélisaire ; car en un tour de la main la table fut desservie, démontée, esca-