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Page:Daudet - Jack, II.djvu/275

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Jack essayait bien de couper en deux ces dangereux récits, mais ils recommençaient toujours par quelque bout, semblables à ces reptiles dont chaque tronçon est plein de vie et frétille en dépit des mutilations. Cécile n’en entourait pas moins la mère de son ami d’un respect affectueux, un peu inquiète seulement de voir Jack si préoccupé ce matin-là. Que devint-il, le malheureux, lorsque, au moment de la leçon, il entendit la jeune fille dire à sa mère : « Si nous descendions au jardin ? » Rien n’était plus naturel ; mais l’idée qu’elles se trouveraient seules toutes deux le remplit d’une terreur indicible. Qu’allait-elle encore lui raconter, mon Dieu ?… Pendant les explications du docteur, il les regardait marcher côte à côte dans l’allée du verger, Cécile, mince, élancée, sobre de gestes comme toutes les femmes vraiment élégantes, caressant de sa jupe rose les thyms en fleurs de la bordure ; Ida, majestueuse, belle encore, mais exubérante de parure, d’attitudes. Coiffée d’une toque à plumes, reste de ses anciennes toilettes, elle sautillait, faisait la petite fille, puis tout à coup s’arrêtait pour exécuter un grand geste en rond que suivait son ombrelle ouverte. Elle parlait seule, c’était visible ; et, tout en l’écoutant, Cécile levait de temps en temps son joli visage vers la fenêtre où lui apparaissaient, penchées l’une vers l’autre, la tête bouclée de l’écolier et la chevelure blanche du professeur. Pour la première fois, Jack trouva que la leçon était bien longue ; et il ne fut con-